26 juin 2014 : 150ème anniversaire de Se Livrer

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Messe d'action de grâce pour le 150ème Anniversaire

du texte écrit par Sainte Thérèse Couderc : 

Thérèse Couderc est née au Mas de Sablières (Ardèche, France) le 1er février 1805, d’une famille d’agriculteurs.

En 1826, elle fonda à La Louvesc (France), avec le Père Etienne Terme, la Congrégation de Notre-Dame du Cénacle

qui se consacre à l’éveil et à l’éducation de la foi par les retraites, la catéchèse et d’autres apostolats spirituels.

Pendant sa vie, elle endura de nombreuses épreuves et souffrances, (en particulier elle fut déposée de sa charge en 1837),

avec une grande foi et une vraie humilité.

Sa spiritualité, enracinée dans une profonde expérience de la bonté de Dieu,

se caractérise par un abandon total à la volonté de Dieu, « se livrer » à la conduite de l’Esprit Saint.

Elle mourut à Lyon le 26 septembre 1885 et Paul VI la canonisa le 10 mai 1970.

Sa Congrégation est maintenant répandue à travers le monde. 

 

Le 26 juin 1864, Sainte Thérèse Couderc écrivit un texte en haut duquel elle a marqué "à garder". Elle y dit ce que signifie pour elle  "Se Livrer"

Au fil des ans, cette expression privilégiée a marqué la Congrégation du Cénacle. Il reste un idéal proposé à toutes les sœurs mais c'est aussi un trésor de l'Eglise que goûte bien d'autres personnes sensibles à la profondeur de ce mot.

En voici le texte intégral suivi de l'homélie faite ce 26 juin 2014, par Père Michael Paul Gallagher, Recteur de la communauté jésuite de St Bellarmin à Rome et jusqu'à récemment chef du département de théologie fondamentale à l'Université Grégorienne.

Déjà plusieurs fois Notre-Seigneur m'avait fait con­naître combien il était utile pour l'avancement d'une âme qui désire sa perfection de SE LIVRER sans réserve à la conduite de l'Esprit Saint. Mais ce matin il a plu à sa divine Bonté de m'en donner encore une vue toute particulière. Je me disposais à commencer ma médita­tion lorsque j'ai entendu le son de différentes cloches qui appelaient les fidèles à l'assistance aux divins Mys­tères. Dans ce moment, j'ai désiré m'unir à toutes les messes qui se disaient et ai pour cela dirigé mon inten­tion afin d'y participer. Alors, j'ai vu d'une vue générale, tout l'univers catholique et une multitude d'autels où s'immolait en même temps l'adorable Victime. 

Le sang de l'Agneau sans tache coulait en abondance sur chacun de ces autels qui m'apparaissaient environnés d'une fumée fort légère qui s'élevait vers le ciel. Mon âme était saisie et pénétrée d'un sentiment d'amour et de reconnaissance à la vue de cette satisfaction si abondante que Notre-Seigneur offrait pour nous. Mais j'étais aussi dans un grand étonnement de ce que le monde entier n'en était pas sanctifié. Je demandai comment il se faisait que le sacrifice de la Croix n'ayant été offerte qu'une seule fois ait été suffisant pour racheter toutes les âmes, et que, renouvelé tant de fois, il ne suffit pas à les sanctifier toutes. Voici la réponse que j'ai cru entendre: Le sacrifice est sans doute suffisant par lui-même, et le sang de Jésus-Christ plus que suffisant pour la sanctification d'un million de mondes, mais les âmes manquent de correspondance et de générosité. Or, le grand moyen d'entrer dans la voie de la perfection et de la sainteté, c'est de SE LIVRER à notre bon Dieu.

Mais qu'est-ce que SE LIVRER ? Je comprends toute l'étendue du sens de ce mot: SE LIVRER, mais je ne puis l'expliquer.

Je sais seulement qu'il est très étendu, qu'il embrasse le présent et l'avenir.

SE LIVRER, c'est plus que se dévouer, c'est plus que se donner, c'est même quelque chose de plus que s'abandonner à Dieu. SE LIVRER enfin, c'est mourir à tout et à soi-même, ne plus s'occuper du moi que pour le tenir toujours tourné vers Dieu.

SE LIVRER, c'est encore ne plus se chercher en rien, ni pour le spirituel, ni pour le corporel, c'est-à-dire ne plus chercher de satisfaction propre mais uniquement le bon plaisir divin.

Il faut ajouter que SE LIVRER, c'est aussi cet esprit de détachement qui ne tient à rien, ni pour les personnes, ni pour les choses, ni pour le temps, ni pour les lieux. C'est adhérer à tout, accepter tout, se soumettre à tout.

Mais on va croire peut-être que cela est bien difficile à faire, Qu'on se détrompe, il n'y a rien de si facile à faire et rien de si doux à pratiquer. Le tout consiste à faire une seule fois un acte généreux, en disant avec toute la sincérité de son âme: « Mon Dieu, je veux être tout à vous, daignez accepter mon offrande ». Et tout est dit. Avoir soin désormais de se tenir dans cette disposition d'âme et ne reculer devant aucun des petits sacrifices qui peuvent servir à notre avancement dans la vertu. Se rappeler que l'on s'est livré.

Je prie Notre-Seigneur de donner l'intelligence de ce mot à toutes les âmes désireuses de lui plaire, et de leur inspirer un moyen de sanctification si facile. Oh! si l'on pouvait comprendre à l'avance quelles sont les douceurs et la paix que l'on goûte quand on ne met pas de réserve avec le Bon Dieu! Comme il se communique à l'âme qui le cherche sincèrement et qui a su
SE LIVRER. Que l'on en lasse l'expérience et l'on verra que c'est là où se trouve le vrai bonheur que l'on cherche en vain sans cela.

L'âme LIVREE a trouvé le paradis sur la terre,

puisqu'elle y jouit de cette douce paix qui fait en partie le bonheur des élus.

L'évangile de ce jour de fête était celui sur le grain de blé en Jean 12, 24-26.

Quelques jours avant la Pâque,

Jésus disait à ses disciples:

«Amen, amen, je vous le dis:

si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul;

mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.

Celui qui aime sa vie la perd ;

celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle.

Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive;

et là où je suis, là aussi sera mon serviteur.

Si quelqu'un me sert, le Père l'honorera. "

L'homélie du Père Michael Paul Gallagher aide à voir les liens entre ce passage de Saint Jean, l'Eucharistie et la compréhension de Se livrer faite par Ste Thérèse Couderc. 

En cette occasion particulière, aujourd'hui, cent cinquante ans après la rédaction du texte de Sainte Thérèse Couderc, il y a une belle convergence entre ce précieux texte et les lectures bibliques de la liturgie. Je voudrais vous inviter à savourer la richesse d'un petit mot que nous avons entendu dans l'Évangile, et aussi  dans l'acclamation avant l'Evangile : en italien le mot rimanere, (en français demeurer) en grec menein. Ce mot si ordinaire prend une résonance poétique et mystique dans l'Évangile de Jean. Lors de la première rencontre de Jésus avec ses disciples, ceux-ci lui demandent : «où demeures-tu ?», et il est dit que « ils virent où il demeurait» et « ils demeurèrent» avec lui toute la journée. Plus tard dans le même évangile, nous trouvons souvent menein «celui qui demeure en moi et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits. » En bref menein résume toute une relation d'appartenance mutuelle, une relation qui est centrale dans le texte de "se livrer", comme nous le voyons. «Se livrer enfin, c'est mourir à tout et à soi-même, ne plus s'occuper du moi que pour le tenir toujours tourné vers Dieu.»

Mais avant de mettre en parallèle ces textes, notons l'utilisation de menein dans l'Evangile de cette messe. Il semble que cela soit l’unique utilisation, on peut dire négative, de ce mot dans tout l'Évangile de Jean. Si le grain ne s’abandonne pas, il ne peut pas embrasser l'aventure de "se livrer", il reste seul. Cette triste solitude est à l'opposé de l'espérance que Dieu a pour nous tous, une forme de fermeture de cœur, une autonomie sans amour, une solitude qui résiste au voyage de «se perdre» (Jn 12, 25) que Sainte Thérèse décrit comme étrangement facile et doux, facile car il est la découverte d’une appartenance intime inimaginable.

Au centre de la grâce dont nous faisons mémoire aujourd'hui, il ne s’agit pas d’une perte purement négative, mais d’une perte joyeuse, une perte qui est en fait une découverte. Il ne s’agit pas de s’abandonner à un espace vide : il s'agit plutôt de l'immense soulagement d'être dans une intimité perpétuelle. Il ne s’agit pas de mon choix, mais de ma confiance dans la promesse de Dieu d'être en mesure d'apercevoir sa gloire ici-bas.

Sainte Thérèse fait référence à la messe En fait, au centre de notre Eucharistie, nous trouvons "se livrer" : l'acte de Jésus lors de la dernière Cène est de "se livrer" avant les événements de la journée suivante. Les mots à la fin de la consécration nous invitent : faites ceci en mémoire de moi. Qu'est-ce que «ceci»? Son "se livrer". Pas seulement un geste rituel, mais un geste intérieur de Jésus, un geste profond et personnel par lequel il s’offre au Père pour nous.

La grâce d’il y a 150 ans, comme nous le dit Sainte Thérèse, n'est pas une intuition nouvelle. La nouveauté est dans l'intensité de sa «perception», une lumière en elle qu'elle attribue à l'Esprit Saint. Nous savons tous, au moins d'une manière générale ou théorique, que notre liberté nous conduit paradoxalement à nous abandonner entièrement à Dieu.  Demandons aujourd'hui de participer aussi un peu à la grâce de Sainte Thérèse, d’aller d'une connaissance «théorique» (comme le ferait Newman), vers une connaissance «réelle» qui éclaire et transforme le cœur. Celui qui aime sa vie la perd. Peut-être que les saints comme Thérèse, sont différents de nous par leur courage à embrasser cette lumière de manière permanente,  totale et transformatrice. Mais nous aussi, de manière moins permanente, moins courageuse, nous sommes invités à goûter et sentir le don de s’abandonner à l'étreinte de Dieu : A travers les saints on peut voir ce que nous n'osons pas être encore et ce qui nous donne de la force (à chacun de nous) pour être fidèles à notre chemin de confiance et de liberté.

Quelques photos de la célébration :

 

 

 

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