Lors de notre Assemblée régionale de mai 2024, nous avons consacré deux jours à l’exploration du thème de la CONVERSION ÉCOLOGIQUE afin qu’elle puisse nous conduire vers la guérison et le renouvellement de notre maison commune. Au cours de ces deux jours, les présentations sur les principales préoccupations écologiques actuelles et leurs causes profondes nous ont bouleversées. La dimension globale des réalités était assez complexe et difficile à assimiler. C’est une de ces expériences qui peut facilement conduire au découragement et même à un sentiment paralysant d’accablement..
Chaque jour, des grâces nous étaient suggérées. Elles sont devenues mes points de repère pour donner un sens à ce que ma tête absorbait et à ce que mon cœur ressentait à cause des souvenirs réveillés. En repensant à ces sessions, j’ai pris conscience d’un certain nombre d’idées qui émergeaient de mes expériences. La grâce du premier jour consistait à réaliser notre aliénation de la création, des autres, de Dieu et de nous-mêmes, tandis que la grâce du deuxième jour consistait à rétablir notre lien avec la nature, avec les autres, avec Dieu et avec nous-mêmes pour nous réconcilier..
Le premier déclencheur de réflexion a été le film documentaire La Sagesse de la pieuvre (« My Octopus Teacher », 2020) qui raconte l’histoire d’un homme en burn-out à qui la nature apprend à trouver un moyen de se renouveler de manière holistique, en particulier grâce à la pieuvre avec laquelle il a noué une relation lors de ses explorations sous-marines. Le film témoigne de la transformation de la relation de cet homme avec la pieuvre, qui passe du statut d’objet (une des nombreuses créatures de la mer) à celui de sujet (après avoir établi une relation particulièrement personnelle). Cette relation transformée finit par changer toutes ses autres relations.
Le film a fait ressurgir en moi de nombreux souvenirs d’enfance liés à la relation avec la création dans une vision du monde traditionnellement philippine. Ma grand-mère et ma yaya (nourrice) me racontaient des histoires de créatures et d’esprits habitant la nature environnante : les arbres, les plantes, les plans d’eau, les rochers, les monticules dans le jardin, la forêt, etc. On les appelait les engkanto (littéralement, les enchantés) ou, en dialecte, « ceux qui ne nous ressemblent pas« . Les histoires tournaient généralement autour de la manière de se comporter, de respecter ce qui était « à eux » et des conséquences négatives qui s’abattaient sur l’enfant (ou d’autres adultes peu attentifs) qui violait le code des relations respectueuses avec « eux ».
On racontait que ces engkanto (les personnes enchantées) attiraient des humains ordinaires dans leur royaume pour qu’ils deviennent des engkanto. Ou encore qu’un enfant peu attentif ou un adulte irrespectueux tombait malade parce qu’il avait détruit la propriété ou la maison des enchanteurs. Cette maladie pouvait également résulter d’une violation de leurs limites, lorsqu’une personne se promenait dans la forêt et dérangeait accidentellement leur demeure. Même le fait d’arroser des plantes dans le jardin pouvait mettre en colère les enchantés ou les nains qui vivaient dans les jardins. Pour éviter de tels incidents, il fallait dire « Tabi ! ». Ce qui peut se traduire par « excusez-moi » ou par une autre formule de salutation reconnaissant l’existence des autres et leur demandant la permission de passer ou d’empiéter sur leur espace. La santé pouvait être rétablie grâce à une réparation effectuée par l’intervention d’un guérisseur. Ces récits soulignaient la nécessité d’établir des liens et de respecter l’espace d’autrui. Elles soulignent également que nous, les humains, n’avons aucun contrôle sur tout ce qui existe. D’où la nécessité de relations justes, d’interdépendance et d’équilibre.
Au cours de notre assemblée régionale, j’ai été submergée de souvenirs et d’histoires mêlant divers sentiments. J’ai réalisé que la formation culturelle traditionnelle philippine concernant les bonnes relations avec la création m’avait été efficacement inculquée – même si la peur de la punition était une grande source de motivation. La formation culturelle s’est opérée par le biais d’une approche prescriptive (axée sur le « comment faire »). Mais si le conteur est créatif, l’image plus positive des bonnes relations avec les « autres qui ne sont pas comme nous » est mise en évidence. Lorsque j’ai revu ma propre histoire, j’ai réalisé que ma première introduction aux relations écologiques par le biais de ces croyances culturelles avait été refoulée en raison de mon exposition à l’esprit scientifique occidental (approche plus spéculative) et de ma formation à cet esprit. Cela avait été renforcé par une vision de la foi qui considérait que tout ce qui n’était pas baptisé relevait du domaine du malin !
J’ai ressenti comme une invitation à revisiter les histoires culturelles encore vivantes dans ma conscience comme une porte vers la conversion écologique. La conversion écologique nous invite à une transformation du cœur et de l’esprit en faveur d’un plus grand amour de Dieu, des autres et de la création. Je dois cependant reconnaître que je me suis d’abord sentie éloignée ce qui m’a été présenté – quelque chose qui contenait le potentiel d’une vision du monde écologiquement équilibrée. La conséquence de cette reconnaissance est que je dois m’engager sur la voie du rétablissement de ma relation avec l’ensemble de la création et avec Dieu. Comment puis-je travailler à combiner la formation culturelle reçue dans mon enfance avec les points de vue scientifiques et spirituels qui me sont accessibles aujourd’hui ?
Comme l’homme dans le film La Sagesse de la pieuvre, comment puis-je laisser les histoires contenant des sagesses ancestrales m’enseigner la voie de la conversion écologique ? Grâce à la sagesse inhérente à la culture et à la foi de mes ancêtres, comment puis-je/pouvons-nous créer un nouveau récit de coexistence et de collaboration avec toutes les créatures – qu’elles soient visibles ou invisibles à l’œil – dans ce magnifique environnement que nous appelons tous « notre » maison commune ? Je dois veiller à ce que cette vision émergeante du monde ne tombe pas dans les catégories « soit/soit » où l’on oppose le traditionnel au scientifique, mais qu’elle adopte la mentalité « à la fois/et » qui peut contenir des récits apparemment divergents. Bien qu’il s’agisse d’un pas modeste, je sens comme un feu intérieur en moi qui, je l’espère, conduira à un changement d’état d’esprit. À ce stade, je me souviens d’un ancien dicton asiatique : « Le voyage de mille lieues commence par un seul pas ».
Malén Java, rc
30 juillet 2024
Cénacle de Cebu (Philippines).