Proclamer le Credo de Nicée à l’ère de l’intelligence artificielle.
Un défi pour la dignité humaine
Judette Gallares rc
Introduction
Alors que le soleil se lève sur le 20 mai 2025, l’Église se recueille pour commémorer un tournant sacré. Dix-sept siècles se sont écoulés depuis le Concile de Nicée, au cours duquel des voix lointaines ont tissé les mots intemporels du Credo de Nicée que nous professons encore aujourd’hui. Bien qu’elles soient nées sur le sol lointain du quatrième siècle, au milieu de langues anciennes et d’empires disparus, ses vérités éternelles rayonnent encore, ancrant et illuminant la foi des croyants d’aujourd’hui. Les vérités intemporelles que le Credo proclame résonnent encore avec force au milieu des défis contemporains, offrant espoir et lumière sûre à un monde tourmenté en quête de sens et de grâce.
Parmi les grandes questions auxquelles l’humanité est confrontée figure le progrès rapide des technologies, qui a donné naissance au transhumanisme, une idéologie selon laquelle la science peut nous élever au-delà des limites de la condition mortelle. On parle d’esprits intégrés dans des machines, de corps mis en sommeil conservés dans le froid et de membres réalisés en métal et en code qui transformeraient les humains en cyborgs. Avec l’intelligence artificielle (IA) qui apprend, les gènes qui se transforment et les fils qui chuchotent au cerveau, nous nous dirigeons vers un avenir où la frontière entre l’homme et la machine commence à s’estomper.
Dans cette réflexion, je me concentrerai sur un seul élément du paysage technologique au sens large : l’essor de l’intelligence artificielle, ou IA. Depuis ses débuts en 1956, l’IA consiste à essayer de construire des machines capables de penser et d’agir de manière apparemment intelligente, ce que nous associons généralement aux capacités humaines. Au fil du temps, cette technologie s’est rapidement développée, nous aidant à accomplir des tâches telles que la traduction, la prévision de tempêtes, le classement de dossiers, l’exécution de calculs complexes et la reconnaissance de motifs dans des images. Les ingénieurs ne cessent de trouver de nouvelles façons de l’utiliser pour faciliter le travail humain.
Mais à mesure que nous devenons plus dépendants de l’IA, des questions plus profondes commencent à faire surface, des questions sur ce que signifie être humain, sur la dignité, l’identité, et sur la question de savoir si l’intelligence seule définit une personne. Le Credo de Nicée ne mentionne pas l’IA, bien sûr, mais il nous donne un moyen de réfléchir à ce qui rend les êtres humains vraiment uniques. Dans cette réflexion, j’explorerai brièvement quelques thèmes clés à la lumière de l’IA. Premièrement, ce que le Credo dit de la spécificité de la personne humaine. Deuxièmement, comment l’IA remet en question nos idées sur ce qui nous définit comme personne. Troisièmement, le rôle de l’Esprit Saint en tant que source de vie. Quatrièmement, les préoccupations éthiques que soulève la confrontation entre l’IA et la dignité humaine. Et enfin, ce que le Credo dit de la résurrection et de l’avenir de l’humanité.
Le Credo et la spécificité humaine
Le Credo ne se fonde pas sur le génie humain mais sur les mains qui ont façonné les étoiles et tout ce qui existe. Il proclame donc notre véritable valeur : « Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles ».

Image réalisée par Sr Judette avec IA
En janvier 2025, le Saint-Siège a publié la note Antiqua et Nova (abrégé ici en AEN), une réflexion des dicastères pour la Doctrine de la Foi et pour la Culture et l’Éducation, qui explore les questions éthiques et humaines soulevées par l’IA. Le document appelle à une technologie qui respecte la dignité humaine et favorise un véritable épanouissement de l’homme. S’appuyant sur l’appel de l’Écriture à « cultiver et garder » la terre (Gn 2,15), il nous rappelle que
« Ce don de l’intelligence devrait s’exprimer par un usage responsable de la rationalité et de la capacité technique au service du monde créé »
AEN n° 1
Dans son introduction, le document reprend l’appel du Catéchisme :
« L’Église encourage les progrès de la science, de la technologie, des arts et de toute autre entreprise humaine, les considérant comme faisant partie de “la collaboration de l’homme et de la femme avec Dieu dans le perfectionnement de la création visible” ».
Catéchisme de l’Eglise catholique, paragraphe 378 (Voir aussi Gaudium et Spes (Vatican II), par. 34)
Il nous rappelle ensuite avec délicatesse que
« les capacités et la créativité de l’être humain viennent de Lui [Dieu] et, lorsqu’elles sont utilisées à bon escient, Lui rendent gloire en tant que reflet de Sa sagesse et de Sa bonté ».
Ainsi, se demander ce que signifie « être humain », c’est reconnaître nos dons scientifiques et technologiques (AEN n°2).
Le Credo affirme que Dieu a créé l’homme « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1,27) et non pour en faire une machine hautement évoluée. Contrairement à l’IA, les humains possèdent une âme immortelle et sont appelés à une relation avec Dieu selon des modalités qui sont toutes enracinées dans son amour et son désir de communion avec nous. Cette relation est au cœur de la vie chrétienne. Il s’agit essentiellement de connaître, d’aimer et de marcher avec Dieu dans notre vie quotidienne.
Le Credo exprime son émerveillement : « Pour nous les hommes et pour notre salut, il est descendu du ciel… et il s’est fait homme », prenant par amour divin notre apparence humaine. Si ce qui nous définit comme personne avait reposé sur un simple principe intellectuel, notre divin sauveur, Jésus, aurait pu apparaître comme une IA, mais en choisissant notre chair, Il couronne la nature humaine comme un élément central du dessein éternel de Dieu.
L'IA et le concept de personne
Qu’est-ce qui nous définit comme personne ? La philosophie et la théologie chrétienne nous enseignent que la notion de personne s’épanouit à trois grandes sources : la lumière de la raison, le choix de la liberté et la chaleur de la relation qui nous rapproche de Dieu. Dans la danse éternelle de la Trinité – le Père, le Fils et l’Esprit – nous entrevoyons la communion parfaite qui façonne notre être.
Si le concept de personne (en anglais ‘personhood’) définit ce que signifie être une personne, la question de savoir si l’intelligence artificielle peut être considérée comme une personne fait l’objet d’un débat. Cependant, comme le suggère le Credo, la dignité humaine ne vient pas seulement de l’intelligence, mais du fait d’être créé par Dieu, d’avoir une âme et d’être capable de connaître et d’aimer Dieu. Même si l’IA peut traiter et générer des réponses complexes en imitant les capacités de l’intelligence humaine telles que le raisonnement, l’apprentissage et la réponse aux émotions, elle n’a pas de conscience, de libre arbitre et d’âme. Elle ne fonctionne qu’en fonction de la manière dont elle est programmée par les ingénieurs humains.
En réponse à la notion de personne, le Credo de Nicée affirme que cette notion est ancrée dans la création de Dieu ; ce que l’IA, en tant qu’outil créé par l’homme, ne partage pas. L’IA, aussi perfectionnée soit-elle, est une création de l’homme, et non un porteur de l’image divine. Contrairement aux hommes, elle ne possède pas de libre arbitre, de conscience morale ou de capacité de grâce.
L'Esprit Saint, source de vie
Le Credo proclame : « Je crois en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie ». Cette déclaration exprime une vérité profonde : le Saint-Esprit n’est pas seulement le souffle de la création, mais aussi celui qui soutient, renouvelle et transforme la vie dans les domaines naturel et surnaturel.
Au premier murmure de la création (Gn 1,2 ; 2,7), l’Esprit insuffle la vie. Ce n’est pas un témoin passif, mais un vent vivant qui tisse l’ordre, la raison d’être et le souffle vibrant en toutes choses. L’Écriture proclame que l’Esprit insuffle une vie nouvelle en nous par le baptême, faisant de nous des enfants de Dieu (cf. Jn 3,5-6), nous élevant dans la vie ressuscitée du Christ (Rm 8,11) et nous conduisant au-delà de la lettre de la Loi dans l’horizon large et libre de la vraie parenté (2 Co 3,6). Ayant été réconciliés avec Dieu par la mort de Jésus-Christ sur la croix, cette vie nouvelle dont nous jouissons
« est manifestée dans notre propre vie de foi, qui commence par le baptême, se développe dans l’ouverture à la grâce de Dieu et est vivifiée par une espérance constamment renouvelée et confirmée par l’action de l’Esprit Saint ».
« Spes Non Confundit. Bulle d’indiction du jubilé ordinaire de l’année 2025″, §3
L’Esprit Saint n’agit pas seulement sur les croyants individuels, mais anime l’Église en tant que Corps vivant du Christ. À la Pentecôte, l’Esprit est descendu sur les personnes rassemblées au Cénacle, donnant aux premiers chrétiens le pouvoir de prêcher l’Évangile (Ac 2,1-4), conférant divers dons (charismes) pour édifier l’Église, tout en veillant à ce que chaque membre joue un rôle dans la vie de la communauté (1 Co 12,4-7). L’Esprit guide l’Église dans la vérité tout entière, veillant à ce que l’enseignement du Christ demeure vivant et actif dans chaque génération (Jn 16,13).
L’Esprit est le gage vivant de notre résurrection (Rm 8,23), le souffle qui fait revivre les ossements desséchés (Ez 37,5-6) et la voix qui nous rappelle à Dieu (Ap 22,17). Aujourd’hui encore, l’Esprit tisse en nous une vie nouvelle, préparant nos cœurs pour le jour où nous habiterons pour toujours dans la plénitude du royaume de Dieu.
La vraie vie et la vraie sagesse viennent de l’Esprit de Dieu, pas des progrès technologiques. L’IA peut traiter des informations, mais elle n’a pas de vie spirituelle ni la capacité de recevoir la grâce divine ; ce qui remet en question l’idée que l’IA puisse un jour devenir égale ou supérieure à l’homme en termes d’existence porteuse de sens. Même si l’IA simule le comportement humain, elle reste fondamentalement différente parce qu’elle n’a pas la dimension spirituelle que le Credo exprime. En effet, vivre dans l’Esprit, c’est être pleinement vivant, profondément connecté à l’amour et à la présence de Dieu.
Préoccupations éthiques : l'IA et la dignité humaine
En lien avec la dignité humaine, l’IA suscite des préoccupations éthiques complexes et multiformes. Ces préoccupations touchent à des questions d’autonomie, d’honnêteté, de vie privée, d’équité et à l’essence même de l’être humain. Les penseurs moraux* lancent donc un avertissement : si nous couronnons l’IA du titre d’égale, notre propre dignité nous échappera ; les cœurs authentiques cédant la place à un compagnonnage creux, et le tissu de la communauté s’effilochera.
* Patricia Engler, “AI and Human Futures: What Should Christians Think?” in Dignitas, Vol. 30, No. 4 (hiver 2023), 3-9. Publié aussi en ligne par The Center for Bioethics and Human Dignity (CBHD, Trinity International University). Une autre publication traite des implications morales : Jordan J. Wales (ed.), “Encountering Artificial Intelligence: Ethical and Anthropological Reflections,” Journal of Moral Theology, 1: Déc. 2023.
La déshumanisation s’accompagne d’un danger d’irresponsabilité morale. Détachée de la conscience, l’IA ne peut pas porter le poids moral de la justice, de la guérison ou des moyens de subsistance, et lui confier cette tâche risque d’ébranler notre sens même de la responsabilité. Les algorithmes pilotés par l’IA dans les médias sociaux, les publicités ciblées et la propagande politique peuvent manipuler le comportement humain, semant la confusion tout en sapant le libre arbitre et le consentement éclairé. Lorsque l’IA, maniée par des mains autoritaires, recueille nos visages et suit chacun de nos pas, elle nous inscrit dans de froids registres, annulant notre dignité et notre humanité même. En s’appuyant trop sur l’IA, on risque d’écarter le travail humain et de donner aux gens le sentiment d’être remplaçables dans un monde qui fait la part belle aux machines. Nous espérons que l’IA pourra émerger à la lumière claire de la transparence, de l’équité, de la responsabilité et du respect de la dignité humaine ; de peur qu’en dépassant nos propres esprits, elle n’éclipse notre vocation de protecteur moral du monde et ne nous ramène aux vérités que nous professons dans le Credo.
La Résurrection et l'avenir de l'humanité
Le Credo exprime les principales croyances chrétiennes sur l’espérance et l’avenir de l’humanité, en particulier dans ses affirmations finales sur le retour du Christ, la résurrection et la vie éternelle, qui nous conduisent à l’affirmation de la seconde venue du Christ et de son jugement : « Il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts, et son règne n’aura pas de fin ». Sur un ton d’espérance, elle conclut ainsi : « J’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir ».
Cette affirmation est le cœur de l’espérance chrétienne dans le retour du Christ, établissant la justice et manifestant son règne éternel. Comme un crescendo musical, le Credo se développe jusqu’à sa déclaration finale affirmant notre espérance d’avoir part à la résurrection du Christ. Les chrétiens vivent dans l’espérance, non seulement de la vie au-delà de la mort, mais aussi du jour où tous les corps ressusciteront, revêtus de gloire (cf. 1 Cor 15). Cette espérance s’étend au-delà de la tombe, vers la promesse d’une création renouvelée – un nouveau ciel et une nouvelle terre (cf. Ap 21), où le peuple de Dieu habitera avec lui pour toujours, dans la joie et la communion parfaite.
L’espérance chrétienne réside dans la transformation de l’humanité par Dieu, et non dans l’amélioration technologique de soi. Bien que certains transhumanistes envisagent le téléchargement de la conscience humaine dans l’intelligence artificielle comme une voie vers l’immortalité, le christianisme enseigne que notre destin est la résurrection, et non l’existence numérique. Notre espérance comprend la victoire sur la mort, la restauration finale qui vainc le mal et accomplit le plan de Dieu pour l’humanité, la communion éternelle avec Dieu – « la vie du monde à venir » ; pas une simple vie après la mort individuelle mais une existence rachetée, glorifiée dans la présence de Dieu.
Conclusion
L’IA nous incite à réfléchir théologiquement à ce que signifie être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Ces réflexions et discussions dans le contexte de la foi renforcent la valeur et la dignité uniques des êtres humains par rapport aux entités artificielles.
En tant que chrétiens, nous sommes appelés à utiliser l’IA avec sagesse et vigilance, conscients de l’empreinte profonde qu’elle laisse dans la vie quotidienne. Des appareils intelligents (« smart ») aux voix numériques, ces outils nous servent, mais ils reflètent aussi les mains qui les ont façonnés. Derrière chaque algorithme se cachent des choix, des biais et des influences invisibles. Dans un tel monde, le discernement n’est pas facultatif. C’est un devoir de foi : penser de manière critique, agir avec sagesse et guider les autres pour qu’ils fassent de même.
En fin de compte, l’IA reste ce qu’elle est : un outil fabriqué par la main de l’homme, qui n’est pas doté d’une âme ou d’une personnalité. Si son pouvoir peut être utilisé pour le bien, il peut aussi être mal utilisé, et c’est pourquoi il doit être guidé par des principes moraux chrétiens. Le Credo de Nicée nous rappelle que la dignité humaine ne repose pas sur l’intelligence ou les capacités technologiques, mais sur notre relation avec Dieu, qui nous appelle à l’amour et à la communion. En tant que produit de la créativité humaine, l’IA peut soutenir notre travail et notre mission, mais elle ne doit jamais remplacer ou redéfinir ce que signifie être humain. Car seules les personnes créées à l’image de Dieu peuvent partager la profondeur des relations, la sagesse spirituelle et l’espoir dont le monde a réellement besoin.
L’année 2025 marque le 1700e anniversaire de Nicée et l’Année jubilaire de l’espérance ouverte par le pape François, aujourd’hui disparu, dont l’héritage nous appelle à rester vigilants. Au milieu des promesses et des périls de l’IA, notre foi repose sur la loi souveraine de Dieu, conscients que le progrès humain n’est qu’une ombre passagère. La véritable espérance se tourne vers le ciel nouveau et la terre nouvelle (Ap 21, 1), où la technologie ne sauve ni ne juge, mais où Dieu est « tout en tous » (1 Co 15:26). En ce Jubilé, l’IA devient un terreau fertile pour l’espérance prophétique – notre quête de justice et de paix fondée sur la promesse certaine de la victoire de Dieu.
BONUS
« Aujourd’hui l’Église offre à tous son héritage de doctrine sociale pour répondre à une autre révolution industrielle et aux développements de l’intelligence artificielle, qui posent de nouveaux défis pour la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail »
Léon XIV, en expliquant le choix de son nom
Dans l’esprit du désir du pape Léon XIV que l’Église s’engage dans le champ de mission du numérique, Sr Judette transmet le lien d’une IA catholique multilingue : Magisterium AI.
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