Appelées avec nos différences pour un seul objectif :
“Pour l’amour du Christ et sa Mission”.
Déjà au Chapitre Général de 2016 (Cf. p. 20-22) et encore, au Chapitre Général de 2022, (Cf. p. 30-34) l’Interculturalité est toujours revenue dans la réflexion et reçue comme appel important pour le Corps international qui ne cesse de diminuer. Par suite, pour accueillir chacun de ces Actes de Chapitre, je crois que chaque partie du Corps a essayé de chercher et de discerner comment l’incarner dans son propre contexte.

Personnellement, je sens que cet appel à vivre l’interculturalité change petit à petit notre mentalité et notre façon de voir la réalité du Corps international.
Dans cette perspective, l’année écoulée 2024, précisément du 05 au 09 Août dernier, le thème de l’Assemblée provinciale de Madagascar est centré sur l’Interculturalité, résumé en ces termes : “INCARNER L’INTERCULTURALITÉ DANS LES TROIS DIMENSIONS DE NOTRE MISSION PAR DES CREATIVITÉS”.
Ayant participé aux Chapitres Généraux de 2016 et de 2022, j’ai été beaucoup étonnée, parfois même embarrassée en pensant que l’interculturalité fait déjà partie de notre vie car nous vivons en communauté, dans la Congrégation, avec nos différences : provenance, culture, éducation, mœurs et coutumes, langue (différents dialectes …). Donc, à priori, l’interculturalité semble quelque chose du vécu.
Mais, je suis encore deux fois plus étonnée que ce sujet se répète à chaque fois … Donc, cette réalité a commencé à m’interpeller.
Par la suite, cette interpellation m’a renvoyée à relire la manière dont j’ai vécu l’interculturalité, autant au niveau national qu’international. Chemin faisant, j’ai profondément reconnu qu’on a vraiment de quoi à voir avec cet appel à répétition… En effet, si l’interculturalité se définit comme interaction de deux cultures où les deux doivent s’impliquer et se vivre d’une manière juste et respectueuse, j’avais l’impression qu’il y a toujours eu une culture dominante, celle de la majorité et une autre presque invisible, celle de la minorité.
Des fois même, j’ai eu l’impression qu’un jugement de valeur apparait, comme si la culture de la minorité est moins bonne et celle de la majorité est meilleure.
Mais au moment de l’Assemblée provinciale du mois d’août 2024, j’ai été profondément touchée par cet appel qui incite à incarner l’interculturalité dans les trois dimensions de notre mission. A ce moment-là, j’ai vraiment reçu un déclic. Ce déclic vient de deux points qui m’ont fortement bouleversée durant les quelques jours d’Assemblée provinciale.
- Le premier point est tout simplement une compréhension profonde du sens de notre existence humaine que je peux résumer en ces termes : “Tous les êtres humains sont nés différents”, et la différence est voulue par le Créateur. Pour moi, c’est une grâce immense d’avoir profondément compris cette vérité et d’en être touchée. J’avais toujours su dans ma tête auparavant que chaque personne est unique en son genre, mais je n’ai pas vraiment compris dans mon “cœur” que cette différence, cette unicité est inaliénable, que l’autre qui est différent de moi a le droit de vivre et de s’épanouir avec sa propre culture. J’avais l’idée mais pas l’authentique conviction.
Si l’interculturalité se définit comme “interaction et communication entre deux ou plusieurs cultures en respectant les valeurs de chaque culture dans ses différences et ses particularités », l’interculturalité est donc la chose la plus merveilleuse au monde.
- Le deuxième point : c’est le Mystère de l’Incarnation. En contemplant ce mystère dans ma prière personnelle, j’ai appris de Jésus le sens du détachement authentique et de l’ouverture à la culture de l’autre. En Jésus, je reconnais clairement l’interaction de deux cultures. En effet, le Fils de Dieu a sa propre culture “divine”, mais il s’est ouvert et entré dans la culture humaine et l’a vécu totalement. Lui qui est Tout-puissant et infini s’est incarné dans une nature finie et vulnérable. Il a tout appris dans une famille humaine à Nazareth, alors qu’il sait tout. Il a accepté d’apprendre de Marie et de Joseph comment vivre dans la culture juive : suivre les prescriptions et lois, les us et coutumes juives, tout en apportant en même temps une transformation dans cette culture. Jésus a bien vécu l’Interculturalité parfaite sur laquelle je dois me modeler.
Ces deux points sont pour moi, des indices de déplacement intérieur. Cette profonde compréhension de la réalité d’un être humain ; cette lumière reçue de la contemplation du mystère de l’incarnation, ont désormais changé mon regard et ma conception de l’autre. Un chemin de conversion s’ouvre davantage en moi : accepter l’autre telle qu’elle est/tel qu’il est, et cela fait une grande joie intérieure.
Par conséquent, ces profondes convictions m’ont amené à proposer quelque chose à l’Assemblée. Lorsqu’on a parlé des manières par lesquelles on peut incarner l’Interculturalité, j’ai proposé que chaque culture trouve sa place et puisse se vivre. Que dans nos communautés, on donne aux sœurs le temps de parler leur dialecte, qu’elles puissent cuisiner des nourritures de leur région, qu’elles disent des prières avec leur propre langue…et que chacune fasse l’effort d’apprendre quelque chose de la culture de l’autre. Je suis prête à tout expérimenter, c’est une grande ouverture en moi, et un chemin de conversion qui se dessine largement et je me suis sentie heureuse d’avoir reçu cette grâce.
Dans la vie quotidienne, je suis devenue plus tolérante, plus compréhensive. Lorsque quelqu’un partage quelque chose de sa culture parfois inconfortable ou même gênant, j’accepte sans jugement et le réflexe arrive sans tarder, oui, cette personne est différente de moi et sa culture n’est pas pareille à la mienne. Elle est aussi en chemin comme moi vers une plus grande ouverture et conversion. En effet, l’interculturalité est pour moi un chemin de conversion à vivre et à concrétiser dans la foi jour après jour.
Dans cette perspective, je reconnais également que certaines us et coutumes de ma culture ont besoin d’être évangélisées et purifiées par le Christ, et aussi transformées par la rencontre avec les autres cultures sans perdre leurs valeurs spécifiques. Mais j’ai senti que cette transformation devrait se faire tout seul sans que les autres me l’imposent. En effet, c’est vraiment un chemin de conversion qui se réalise dans le temps avec un rythme à ne pas précipiter mais à respecter. C’est-à-dire, il faut de la patience et de la persévérance.
Pour terminer, je voudrais dire avec sincérité que quelque chose en moi a changé. Je sens en moi une croissance humaine et spirituelle que je n’avais pas auparavant : un respect plus grand envers les autres et leurs cultures, savoir goûter de ce qui est source d’épanouissement dans les cultures des autres, sans les juger mais tout simplement accepter qu’elles sont différentes de la miennes, croire que l’Esprit Saint est sans cesse à l’œuvre dans toute culture humaine, car c’est Lui qui est l’acteur de l’Incarnation du Fils de Dieu. Avoir compris et vécu tout cela augmente en moi une force libératrice. Je remercie sans cesse le Seigneur qui m’a accordé cette grâce immense.
Enfin, considérant notre Corps international en croissance pour l’incarnation de l’Interculturalité, j’aimerais le présenter au Seigneur en Lui confirmant que notre raison d’être dans cette petite Congrégation n’est que le Christ et sa Mission en vue de la Gloire du Père. Je me réjouis de la grande ouverture que nous vivons en Congrégation depuis les deux derniers chapitres généraux. Que l’Esprit Saint nous soutienne sur ce chemin de croissance. Ce refrain de chant a sans cesse fait un écho en moi pendant que j’ai écrit ce partage comme une confirmation de ce que je vis et continue de vivre et j’aimerais le chanter :
“Pour l’amour de cet homme qu’on appelle Jésus,
Un homme pour son Dieu, un homme pour les autres.
Nous voici devant toi oh notre Père,
Rassemblés devant toi sous son nom
Nous voici devant toi oh notre Père
Serviteurs en tout lieu de Ta plus Grande Gloire”.
Jacques BARTHIER
Blandine RASOANINDRIANA – Antananarivo le 07 Mars 2025