“À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement ; […] Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères.”
Ac 1, 13-14
Le Cénacle, lieu où la première assemblée des apôtres s’est réunie avec Marie et les femmes après l’Ascension du Christ ressuscité, est considéré comme le lieu de naissance de l’Église. Il nous donne également un paradigme de l’Église en tant que Corps du Christ, nous donnant une compréhension renouvelée de ce que c’est que d’être le Peuple de Dieu dans le monde d’aujourd’hui, une Église synodale.
Le mystère du Cénacle est à la fois un lieu symbolique et un espace théologique, qui révèle sa signification ecclésiologique et la place qu’y occupe la synodalité. C’est dans cette foi active et réceptive en Jésus-Christ, crucifié et ressuscité, que le mystère du Cénacle prend corps.
Le Cénacle : un lieu symbolique
.La richesse des significations attachées au terme « cénacle », en latin et en grec (cenaculum et kataluma), le désigne non seulement comme une salle pour les repas, mais aussi comme un lieu de rassemblement important des disciples à des moments clés de leur histoire avec Jésus (Côté, p. 32). Il est également compris comme un gîte d’étape, un lieu de repos où l’on s’arrête au cours d’un voyage, un lieu de récupération, ainsi qu’un lieu d’intériorité (Côté, p. 33). Le terme Cénacle revêt ainsi la symbolique d’un lieu d’habitation, rappelant le premier Cénacle et les événements qui en ont fait un lieu de rencontre de Dieu avec le peuple de Dieu (Côté, p. 33).
Le Cénacle : un espace théologique dans une Église synodale
.Le mot « espace » recèle des significations existentielles, symboliques et métaphoriques. Les réflexions théologiques sur l’espace et le lieu constituent un défi profond et une nécessité urgente pour la théologie de prendre conscience non seulement de son ancrage dans la spatialité existentielle de la vie, mais aussi dans les domaines symboliques et spirituels de la vie. Les espaces théologiques peuvent être à la fois physiques et métaphoriques, fournissant un cadre pour la croissance spirituelle, la construction de la communauté et l’approfondissement de la compréhension religieuse..
L’Église catholique fait aujourd’hui l’expérience d’une avancée vers un stade plus complet de compréhension d’elle-même et d’appropriation d’elle-même en tant que Corps du Christ, connu sous le nom de « synodalité » (Roper, ACR 95:412). Selon la Commission théologique internationale, le sens plus large de la synodalité contient trois métaphores ou éléments clés : le cheminement, la créativité et la responsabilité, indiquant le chemin sur lequel les fidèles marchent ensemble en tant que disciples de Jésus dans leur cheminement continu comme Peuple de Dieu.
Perspectives théologiques à partir de l'expérience du Cénacle
..En adaptant le concept de « troisième espace »[1], terme socioculturel désignant un espace communautaire, le Cénacle, en tant que « troisième espace », devient une sphère ou un forum où les individus peuvent faire l’expérience d’un sens transformateur du soi, de l’identité, des relations, de l’appartenance et de la foi partagée. Pour Marie, les femmes et les apôtres réunis lors de la première assemblée, le cénacle est devenu comme leur « troisième espace ». En réfléchissant au mystère du Cénacle en tant que troisième espace, nous évoquons les idées théologiques suivantes.
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1. L’accouchement : un commencement
Le symbolisme de l’accouchement ne doit pas être négligé, car il nous permet de mieux comprendre le nouveau corps du Christ, l’Église. L’expérience de l’accouchement n’est pas seulement une métaphore puissante d’un commencement, c’est aussi un rappel que la croissance et la transformation s’accompagnent souvent de douleur et de lutte, et même d’une confrontation avec la mort. Jésus, dans ses derniers discours dans l’évangile de Jean, fait référence à cette métaphore lorsqu’il dit : « La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde » (Jn 16,21). Il était important que Marie et les femmes soient présentes à la naissance de l’Église, car elles en avaient une meilleure compréhension grâce à leur expérience de l’accouchement et de ce que signifie donner naissance à une nouvelle vie. Plus important encore, Marie est présente au Cénacle, toujours dans l’attente du Seigneur, une attitude de réponse-responsabilité active qui donne naissance à la fois au possible et à l’impossible. « Le Cénacle est son lieu parce qu’il y a encore un corps à mettre au monde grâce à l’Esprit » (Côté, p. 79).
2. La mémoire comme moyen d’être solidaire
L’importance de la mémoire dans la compréhension de la foi et dans l’expérience chrétienne apparaît maintenant clairement. Disposer d’une mémoire, c’est avoir un lieu où s’enraciner, un lieu à partir duquel on peut guérir et grandir, une base d’où viennent la cohérence et la compréhension. La nature constructive de la mémoire, par laquelle les éléments d’une expérience antérieure sont reconstitués pendant le souvenir, soutient également l’imagination, par laquelle des éléments d’expériences antérieures disparates sont tissés ensemble de façons nouvelles (Schacter, et. al, 2012, Neuron 76, 677-694). Les personnes réunies au Cénacle étaient occupées à se souvenir de leur expérience de Jésus, Marie leur apportant des souvenirs et des informations vitales sur Jésus, de son incarnation à sa passion, sa mort et sa résurrection. Ce processus les a aidés à affronter leurs peurs et à faire l’expérience de la solidarité, malgré leur vulnérabilité, pour devenir un seul corps.
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3. Être « d’un seul cœur »
L’expression « d’un seul cœur » fait référence au lien d’amour chrétien qui unissait tous ceux qui étaient réunis en une seule communauté. Dans le langage humain primitif, le cœur désignait l’ensemble de la personne, corps et âme et signifiait son centre le plus intime. Toutes les facultés humaines trouvent leur harmonie et leur unité dans le cœur.
Méditer des pensées et des paroles dans son cœur, comme l’a fait Marie (Lc 1,66 ; 2,19), signifie valoriser l’expérience au plus profond de soi, avec une conscience profonde des différents mouvements de sa personne qui suscitent une réponse de foi. Il y a donc un parallélisme évident entre la naissance de Jésus, Marie ayant conçu Jésus alors qu’elle était en prière, et la naissance de l’Église, alors que les disciples, d’un même cœur, étaient unis à Marie dans la prière assidue.
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4. Prier, écouter et discerner : « … tous étaient assidus à la prière … »
Par la prière, la contemplation et le partage de la foi, l’Esprit de Dieu nous permet de sentir avec Dieu et de partager son état d’esprit, ses valeurs, ses sentiments et ses émotions. Notre capacité à voir de la perspective de Dieu nous permet de voir les événements de notre temps comme Dieu les voit et de ressentir la même chose que Dieu à propos de ces événements.
Pour discerner individuellement ou comme corps, la prière éveille en nous la capacité d’identifier les esprits qui nous habitent à un moment donné de notre vie ou de notre histoire. Ces divers mouvements du cœur sont passés au crible afin d’en connaître l’origine et la direction : sont-ils de Dieu, menant à Dieu, ou de l’esprit adverse, menant loin de Dieu ?
Il est intéressant de noter que l’artiste français contemporain connu sous le nom d’Arcabas représente Marie – dans nombre de ses tableaux sur la scène de la Pentecôte – avec un livre ouvert, soit qu’elle le tienne, soit qu’il soit placé à côté d’elle ou à ses pieds. Pour lui, le livre ouvert symbolise Jésus, la Parole de Dieu, et Marie, constamment connectée au « Livre », discerne constamment l’Esprit. Arcabas a également veillé à ce que ses peintures de la Pentecôte présentent des femmes et des personnes de différentes races pour symboliser l’inclusivité et l’universalité de l’Église.
Pentecôte, par Arcabas de son vrai nom Jean-Marie Pirot (26 décembre 1926 – 23 août 2018). La peinture ci-dessus a été installée en 2005 au Cénacle de Lyon, en France.
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5. Être en communion et en mission
Le concept de communion (koinonia) exprime le mystère central de l’Église, car il témoigne d’une communauté qui vit à travers le partage des dons et des charismes inspirés par l’Esprit comme expression du plan de salut de Dieu pour la communauté universelle (Markey, 22). La première assemblée réunie au Cénacle a été convoquée par l’Esprit en vue de la mission. La communion et la mission se complètent l’une l’autre dans notre voyage missionnaire. La synodalité doit donc être interprétée plus complètement en termes de communion, comme une manière de cheminer ensemble en tant que communauté de foi sur la voie de la mission. « Cette compréhension de la vie ecclésiale est une métaphore clé pour le paradigme de la synodalité et fournit les nombreux aspects du voyage qui conviennent à la vie chrétienne en communauté : planifier, rêver, faire ses bagages, s’inquiéter, marcher, converser, écouter, observer » (Roper, p. 416).
Marie et les femmes dans le modèle synodal de l'Église
Le modèle synodal de l’assemblée du Cénacle doit faire l’objet d’une compréhension renouvelée. Dans la formation d’une Église synodale, Marie et les femmes ont joué des rôles significatifs de diverses manières, même si de façon limitée. Au Cénacle, les rôles de Marie et des femmes dans l’espace synodal de l’Église naissante peuvent être décrits comme suit :
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1) En tant que témoins des enseignements du Christ : Marie et les autres femmes qui ont suivi Jésus pendant son ministère ont été témoins de ses enseignements, de ses miracles et de sa résurrection.
2) Comme dans la culture de l’époque, les femmes ont également joué un rôle de soutien lors des rassemblements synodaux : elles ont offert l’hospitalité, un soutien logistique et ont contribué au bien-être général des membres de la communauté lors de ces rassemblements.
3) Elles n’étaient pas des observatrices passives, mais des participantes actives dans l’Église : Elles faisaient partie du groupe élargi qui se réunissait pour prier et discerner l’orientation de l’Église, en particulier après l’ascension de Jésus.
4) Elles sont devenues des symboles de la vie de disciple et de la dévotion : la foi et l’engagement inébranlables de Marie à l’égard du Christ ont servi de modèles de disciple et de dévotion pour les premiers chrétiens.
5) Elles ont témoigné de leur leadership et de leur foi : certaines femmes de l’Église primitive, comme Phoebé, Priscille, Junie et Lydie, ont été reconnues pour leur leadership et leurs contributions à la communauté chrétienne, parfois aux côtés de leurs maris, comme dans le cas de Priscille et Junie, en enseignant, en encadrant et en soutenant d’autres personnes dans leur cheminement de foi.
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Lors de la conclusion de la première session du Synode des évêques, le pape François a commenté son rêve d’une Église synodale : « telle est, frères et sœurs, l’Église dont nous sommes appelés à rêver : une Église au service de tous, au service des derniers. Une Église qui […] accueille, sert, aime, pardonne. Une Église aux portes ouvertes qui soit un port de miséricorde » (29 oct. 2023).
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Conclusion
Nous savons qu’il reste encore beaucoup à faire pour réaliser plus pleinement le rêve d’une Église synodale selon le plan de l’Esprit Saint. Les rêves se réalisent avec le temps, même si parfois de façon inattendue. La synodalité nous donne l’espoir qu’en nous réappropriant l’importante contribution contre-culturelle de Marie et des femmes de l’Église primitive, nous pouvons jouer notre rôle dans nos propres lieux et espaces de mission.
Le Cénacle, espace synodal lors de la fondation de la première communauté chrétienne, peut être comparé au « troisième espace » d’aujourd’hui, où il est possible d’écouter les voix des uns et des autres pour mieux comprendre les différentes perspectives mises en lumière par une communauté de foi. C’est un espace de naissance, d’écoute, de prière et de discernement. C’est un espace de communion et de mission comme dans le premier Cénacle.
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Judette Gallares, rc
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Cet article est un résumé d’une intervention de Sr Judette : “Mary and the Women in the Synodal Model of Church in Acts”, 28 juin 2024, EWA XI: Ecclesia of Women as Synodal Third Space, 26-30 juin 2024, Vila São José, Macau (Chine)
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BIBLIOGRAPHIE.
Côté, Ghislaine, RC. Le Cénacle. Fondements christologiques et spiritualité, Paris, Beauchesne, 1991.
Commission théologique internationale, « La synodalité dans la vie et dans la mission de l’Église »
Markey, John, OP. Creating Communion: The Theology of the Constitution of the Church. New York: New City Press, 2003..
Roper, Elissa. “Synodality: A Process Committed to Transformation.” The Australasian Catholic Record, Vol. 95, No.4 (2018)..
Schacter D. L., Addis D. R., Hassabis D., Martin V. C., Spreng R. N., Szpunar K. K. “The future of memory: remembering, imagining, and the brain.” Neuron 76 (2012): 677–694.
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Le « premier espace » est la maison ou la communauté religieuse pour les religieux, le « deuxième espace » est le lieu de travail. ↑