Les moines qui ont commandité la sculpture du tympan de la basilique de Vézelay avaient déjà pressenti combien le cœur de Dieu est grand, qu’il est plus que grand, qu’il est universel, ouvert à toutes créatures dans le ciel et sur la terre car Dieu aime tout ce qui existe, lui, l’« ami des vivants ».
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« Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres ; si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé.
Comment aurait-il subsisté, si tu ne l’avais pas voulu ?
Comment serait-il resté vivant, si tu ne l’avais pas appelé ?
Tu épargnes tous les êtres, parce qu’ils sont à toi, Maître qui aimes les vivants. »
Livre de la Sagesse 11, 24-26
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Tympan du portail de la basilique de Vézelay (France), Pentecôte, 1125-1130.
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Ayant le ciel pour trône et la terre pour escabeau[1], le Christ en gloire de la Pentecôte de Vézelay, apparait dans un espace délimité qui peut symboliser les murs de la salle aux portes closes du Cénacle de Jérusalem. Cependant, toutes les figures qui l’entourent, montrent, quant à elles, que cet espace est bien plus large. Il est même sans limite car le Christ Ressuscité, vainqueur de la mort, règne sur l’Univers.
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De ses mains jaillissent des rayons qui se répandent sur les disciples qui l’entourent
mais aussi sur tout le créé.
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Car « Tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne le fut sans lui[2] »
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Il est le Verbe,
auprès de Dieu dès le commencement du monde,
il est commencement et fin de toutes choses.
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Il est l’Alpha et l’Omega, Celui par qui tout est créé, tout est recréé, tout est sauvé.
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« Il est l’image du Dieu invisible ;
premier né de toute créature,
En lui tout fut créé,
dans le ciel et sur la terre.
Les êtres visibles et invisibles,
Puissance, principautés,
Souverainetés, dominations,
tout est créé par lui et pour lui.
Il est avant toutes choses
et tout subsiste en lui.
Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église :
c’est lui le commencement,
le Premier-né d’entre les morts,
afin qu’il ait en tout la primauté.
Car Dieu a jugé bon
qu’habite en lui toute plénitude
et que tout, par Christ ,
lui soit enfin réconcilié,
faisant la paix par le sang de sa Croix,
la paix pour tous les êtres
sur la terre et dans le ciel.[3] »
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Porteurs d’offrandes |
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La création décrite ici est déploiement de l’origine, émergence d’une création nouvelle transformant tout et par laquelle se réunissent le temps et l’espace.
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Tout ce qui se répète au rythme des saisons de manière cyclique, prend place dans la plénitude d’un éternel présent que l’Esprit fait naître.
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Ce qui était particulier, d’un instant ou d’un moment donné, devient universel.
Les activités décrites dans leur particularité d’espace et de temps : saisons, travail des champs scandant le zodiaque, sont prises dans ce mouvement d’universalité de la nouvelle création comme une liturgie universelle qui transcende le temps et l’espace.
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Sous forme de zodiaque on peut reconnaître diverses activités agricoles ou artisanales qui scandent les saisons.
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Par exemple, un fermier récolte une gerbe à côté d’un lion (juillet-aôut) dévorant une personne. |
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Un autre verse le grain récolté dans une huche à côté de la balance (septembre-octobre) dont les cheveux sont en flamme. |
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Un soldat assis sous un arbre, nettoie son bouclier tandis que danse le printemps. |
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Un homme se chauffe, un autre s’habille à côté du symbole des poissons (février-mars), etc… |
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Un paysan bat la moisson au fléau tandis qu’un autre vendange sa vigne. |
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Tous vaquent à leurs occupations humaines tandis que le Christ envoie son Esprit sur tous les êtres vivants et tout l’univers, ceci quelle que soit l’époque et quel que ce soient les lieux.
Pas un être, pas un lieu, pas un temps qui ne puisse être le réceptacle de ce don !
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« Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu. […] Ils virent apparaître des langues qu’on eut dit de feu. Elles se partageaient et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint…[4] »
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Le Règne du Christ se répand sur ses apôtres et sur tout l’Univers transfiguré par lui et en lui, pourtant la notion de combat spirituel n’a pas disparu.
Le mal et ses tentations ne sont pas niés dans cette représentation cosmique mais ils se déclinent d’une autre manière, dans une perspective empreinte d’espérance et de foi qui est celle de la Pentecôte et du don de l’Esprit. Dieu est vainqueur du monde et cette victoire est déjà là. Le Royaume de Dieu se déploie dès maintenant sur terre, et même si ce déploiement n’a pas atteint sa plénitude les prémices en sont visibles.
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Une brèche s’est ouverte dans le temps de l’histoire. Le Zodiaque nous le dit en image.
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Les trois médaillons situés au-dessus de la tête du Christ au centre du tympan entre le signe du Cancer et le signe du Lion, représentent deux chiens, un acrobate et une sirène.
Dans les conceptions astronomiques antiques et médiévales, l’espace entre le Cancer et le Lion constituait une des deux « portes » de communication entre le ciel et la terre. C’est ainsi que sur le portail de Vézelay, entre ces deux signes du zodiaque, juste au-dessus de la tête du Christ, est représenté l’anima hominum, ce lieu de passage du ciel à la terre, qui est aussi celui du solstice d’été et donc de la lumière, sous forme de trois formes enroulées sur elles-mêmes : deux chiens, un acrobate et une sirène.
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Ces trois sortes de roues dans lesquelles les figures tournent en rond et sur elles-mêmes symbolisent bestialité, violence, perversion, séduction, luxure et autres dangers qui menacent l’être humain et peuvent l’éblouir. Par ce passage entre ciel et terre, situé dans cette sculpture au-dessus de sa tête, le Christ lui qui est la ‘Porte’[5] interrompt le cercle sans fin des années pour donner accès à la vie éternelle. Le Christ qui est la vraie lumière fait irruption dans ce cycle du temps pour en chasser le mal, les fausses lumières et le pouvoir des ténèbres[6]. Provoquant par sa venue une brèche définitive et irréversible dans le cycle du temps marqué par les astres, le Christ ouvre au monde et à tout être, l’éternité du salut.
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D’autres détails sculptés indiquent au pèlerin de ne pas oublier que le combat spirituel sur terre n’est pas terminé, que le Règne de Dieu n’est pas totalement accompli et que l’aujourd’hui est encore le temps de l’attente, de l’espérance et de la vigilance. Tel est le cas par exemple du signe du Lion qui dévore un homme, de ceux du Capricorne, du Taureau et du Bélier dont les corps se terminent en queue de poisson pareil à des sirènes trompeuses, ou encore de celui de la Balance devenu un personnage à la chevelure embrasée par de longues flammes. Ce sont des avertissements gravés dans la pierre, destinés à garder les pèlerins éveillés et vigilants.
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Le Lion |
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Le Taureau |
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La Balance |
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Le don de l’Esprit du portail de la basilique de Vézelay, concerne la vie quotidienne, le cycle des saisons et le travail de l’homme, mais il se répand aussi jusqu’aux confins du monde sur les terres lointaines. Les êtres vivants dans l’unicité de leur histoire personnelle et collective, aussi bien que dans la diversité de leur origine faisant d’eux des peuples nombreux se trouvent pris dans le mouvement de cette création nouvelle qui les transporte vers le Christ pour ne plus faire qu’un en lui.
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« Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que
par lui soient réconciliés tous les êtres sur la terre et dans le ciel[7] »
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C’est ainsi qu’autour du Christ dont les mains rayonnent d’Esprit-Saint, tous les peuples connus de la terre sont représentés avec leur particularités car destinés à recevoir l’Esprit.
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Arméniens chaussés de patins |
Phrygiens reconnaissables à leur bonnet |
Romains en côte de mailles |
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Archers scythes |
Byzantin porteur du bâton de feu grégeois |
Pygmées |
Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, semblent être réunis sur ce tympan.[8]
Mais comme si cela ne suffisait pas pour parler de l’universalité du don de l’Esprit, d’autres peuples sont représentés accompagnés d’attributs plus étonnants, voire déconcertants, défiant même la nature et les connaissances scientifiques actuelles.
Puisant largement dans des ouvrages tels que l’histoire naturelle de Pline L’Ancien naturaliste et écrivain latin du début de l’ère chrétienne, les sculpteurs du Moyen Age ont représenté dans la pierre les peuples étranges vivant aux confins du monde.
Humains à tête de chien (cynocéphales) n’ayant pas la parole et ne sachant qu’aboyer ; créatures aux oreilles si grandes (les Panotiens ou Panotii) qu’il est possible de s’enrouler dedans pour dormir ; êtres n’ayant qu’un pied (les sciapodes), mais d’une telle taille que, pour se défendre de la chaleur, ils se renversent à terre, leur pied les couvrant entièrement de son ombre ; d’autres encore nommés pygmées, n’ayant pas plus d’une coudée de haut et ne vivant pas plus de huit ans…
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Cappadociens, peuple de frères siamois |
Ethiopiens au nez aplati(d’après Hérodote) |
Panotii, aux grandes oreilles, qui dorment enveloppés par elles |
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Pygmée utilisant une échellepour monter à cheval |
Hommes cynocéphales(à tête de chien) |
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Tous ces peuples de la terre, aussi extravagants soient-ils, réunis autour du Christ unique Rédempteur, sont inclus dans le plan de salut de Dieu et appelés à devenir ses disciples et ses apôtres, porteurs de la Bonne nouvelle jusqu’aux confins du monde.
Devenu des Christs sur terre par l’Esprit reçu à la Pentecôte les voilà envoyés, par le Roi de l’Univers, pour témoigner et faire des disciples.
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Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
Allez donc, de toutes les nations faites des disciples.[9]
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Allez dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création.[10]
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C’est ainsi que l’on reconnaît au-dessous des pieds du Christ :
piédroit de gaucheavec deux autres apôtres |
Jean-Baptistemontrant l’agneau |
piédroit de droite :Pierre et Paul |
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.Ce qui est reçu ne peut être gardé ! Envoyés par le Christ, Jean le Baptiste, Pierre, André, Jacques et Jean… mais aussi Paul, Zachée, Marie Madeleine, Marthe, Tabitha, Lidia et tant d’autres, simples pécheurs, couturière, collecteur d’impôts ou pharisien et persécuteur, tous et toutes ayant répondu à l’appel du Christ, revêtus de l’Esprit, sont devenus aussitôt porteurs de la bonne Nouvelle dans le monde entier, jusqu’aux confins de la terre.
Roi de tous les peuples de la terre, maître du temps et de l’histoire qui interrompt le cycle sans fin des saisons pour donner accès à la vie éternelle, commencement et fin de tout, Alpha et Omega, le Christ appelle aujourd’hui encore dans tous les continents, riches et pauvres, le plus humble aussi bien que le plus grand, quel que soit sa fonction dans ce monde et dans l’histoire, son âge et la durée de sa vie, pour recevoir l’Esprit et l’apporter aux autres tout en reconnaissant en tout autre disciple du Christ un autre porteur de l’Esprit.
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« Je mettrais en vous mon Esprit et je ferai que vous marchiez selon mes lois[12] »
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Ainsi la manière d’être des humains habités par l’Esprit du Christ est transformée par une force qui vient de Dieu même. Le péché provenant de la non-adéquation de l’être humain à Dieu recule pour laisser le don de l’Esprit pénétrer les cœurs, les ajuster à l’Amour et les envoyer, par le monde entier répandre la doctrine sacrée parmi les hommes de tout état et de toute condition[13]. Par eux, icônes du Christ, le règne de l’Esprit peut se répandre de manière nouvelle offrant béatitude et bonheur à ceux qui voudront devenir disciples.
De ce fait, c’est ici et maintenant que le Christ est Sauveur. C’est maintenant parce que c’est toujours, c’est ici parce que c’est par tout l’univers, c’est pour moi car c’est pour tout être humain, de toute race et de toute nation.
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L’Esprit qui s’offre sans limite à tout être vivant dans l’Univers, souffle où il veut, nul ne sachant ni d’où il vient, ni où il va ! L’Esprit s’offre sans exception de personne, comme on peut l’imaginer à partir de ces sculptures, aussi bien à ceux qui l’hiver se tiennent près du feu, au repos dans leur maison, à ceux qui travaillent aux champs sous un soleil torride, au bureau ou à l’usine, qui sont nains, géants, noirs, blancs, africains, asiatiques, riches ou pauvres… l’Esprit se donne à chacun et chacune, à tous et à toutes, sans discrimination, sans distinction et à profusion, à condition de bien vouloir le recevoir… L’enjeu est là dans cette ouverture et cette réception !
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L’Esprit souffle où il veut et quand il se donne là où n’imaginons pas qu’il puisse se donner, il nous arrive d’en être bien étonnés. C’est particulièrement vrai, lorsqu’il se donne à ceux ou celles que nous n’aimons pas, qui nous dérangent et que nous rejetons.
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Par ce qu’il est, l’Esprit nous invite, à avoir un esprit large et généreux, et à la liberté intérieure. Sa prodigalité est une invitation à élargir l’espace de notre tente pour accueillir les lieux et les personnes par qui il se manifeste plutôt que de chercher à lui assigner les places où nous pensons qu’il doit agir. Cette manière d’être est bien éloignée de certains immobilismes stériles qui conduisent à dire « nous avons toujours fait comme cela », « de mon temps c’était mieux… », de quelques certitudes se traduisant par des « y-a-qu’à… », « faut qu’on… », de ces convictions qui nous font trouver « intelligents » ceux qui pensent comme nous, ou d’un moralisme figé de purs sachant ce qui est bien et ce qui est mal et se trouvant justes en jugeant les autres. Non, l’Esprit Saint ne tend pas à un tel conformisme ou à une telle uniformité.
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Il nous aime sans exception et sans exclusion.
Il nous appelle à aimer sans exception et sans exclusion.
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Dans son Universalité,
l’Esprit de Dieu à la Pentecôte
dilate le cœur,
élargit le regard,
affine l’écoute
aux originalités des êtres, de tout être.
Sr Ghislaine Pauquet r.c.
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« Ainsi parle Yahvé : Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds. [..] Tout cela c’est ma main qui l’a fait, tout cela est à moi, oracle de Yahvé » (Is 66, 1-2). ↑
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Jn. 1, 3. ↑
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Col. 1, 15-20 (traduction liturgique, Prière du temps présent, Cerf, Desclée – Desclée de Brouwer – Mame). ↑
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Ac 2, 1-4. ↑
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Jn 10, 1-10. ↑
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Jn 1, 4-5 et 9. ↑
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Col 1, 19-20. ↑
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Actes 2, 9-10. ↑
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Mt 28,19. ↑
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Mc 16, 15. ↑
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Jn 1, 36. ↑
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Ez 36, 27. ↑
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Exercices Spirituels n ° 114 et 146. ↑